Dans un pays lointain, un époux avait divorcé sa femme qui s’appelait Djebra. C’était une époque où le divorce était une honte et quelque chose de proscrit, donc pas très répandu, et les gens de bonnes familles ne divorçaient pas.
Dans certaines classes sociales les gens ne connaissaient pas le divorce, même en cas de conflit grave ou de malentendu. Et même pour les cas rares où l’homme décidait de divorcer, il était dédaigné : c’était une honte pour lui, sa famille et même pour toute sa descendance.
Quant à la femme, elle était rejetée par sa famille et elle préférait mourir plutôt que de vivre avec ce fardeau et ces regards critiques.
C’était le cas de Djebra dont le mari avait décidé de la quitter, sur le coup c’était comme si le ciel lui était tombé sur la tête, elle était confuse et désorientée et, ne sachant que faire, elle sortit de chez elle en courant sans même savoir où aller. D’une part ayant peur de ses parents elle ne pouvait pas rentrer chez eux, et d’autre part elle avait honte de frapper à la porte de ses voisins et ses cousins se méfiant de leurs réactions.
Plongée dans ses pensées, perdant toute notion du temps elle marcha pendant des heures. Elle était rongée par le chagrin et le désespoir quand tout à coup elle se rendit compte que la nuit était tombée et qu’elle était au beau milieu de la forêt. Fatiguée, elle décida de s’asseoir sous un arbre et de se reposer. Pendant qu’elle contemplait le ciel en pensant à la vie qu’elle avait perdue, elle entendit un rugissement, elle se pencha et en sursautant elle vit avec stupéfaction un lion qui se dirigeait vers elle.
« Comment oses-tu t’introduire chez moi, dans ma forêt, » demanda le lion. « Ta vie a si peu d’importance à tes yeux, tu veux mourir ! »
Djebra avait peur, mais exténuée par la fatigue elle savait qu’elle ne pouvait plus s’enfuir. Elle prit son courage à deux mains et répondit au lion, la voix tremblotante : « Non je n’ai nullement envie de mourir mais mon mari m’a quitté sans aucune raison. Le divorce est une honte chez nous, surtout pour la femme ! Alors j’ai fui loin du foyer, loin de la ville et je me suis égarée dans la forêt. »
Le lion eut pitié de cette jeune femme innocente et sans défense, et lui demanda de vivre avec lui, lui qui était seul. Les autres animaux avaient peur de lui et n’osaient pas s’approcher de lui. Djebra n’eut pas d’autre choix, et accepta. Ils vécurent ainsi pendant des semaines. Le lion sortait tous les matins chercher du gibier et la femme préparait à manger.
Un jour en rentrant comme d’habitude, le lion vit la jeune femme assise, le regard triste et pensif. Il lui demanda si tout allait bien. Elle lui répondit que sa famille lui manquait et qu’elle voulait la revoir, mais qu’elle avait peur de le lui demander par crainte de sa réaction et par égard de son hospitalité. Mais à sa grande surprise le lion n’avait aucune objection et lui proposa même de la raccompagner hors de la forêt chez elle, car il ne supportait pas de la voir aussi triste.
Le lendemain à l’aube, le lion la ramena près de chez elle, mais il lui a demandé de revenir après trois jours et lui a dit qu’il l’attendrait à l’entrée de la forêt pour la ramener chez lui. Djebra accepta sans poser de question et se dirigea chez elle en courant impatiente de retrouver sa famille.
Dès qu’ils aperçurent la jeune femme, sa famille et ses voisins furent surpris et stupéfaits de revoir cette femme disparue pendant des semaines et dont ils n’avaient reçu aucune nouvelle.
Ils lui demandèrent aussi tôt la cause de son absence et ce qu’elle faisait pendant tout ce temps.
Djebra répondit avec fierté : « Quand mon mari m’a rejetée, je me suis enfuie vers la forêt par peur de la réaction des autres et là j’ai fait la connaissance d’un brave et fier lion qui m’a protégée et abritée chez lui. Depuis ce-temps-là j’ai vécu en parfait bonheur et n’ai manqué de rien. »
La mère soupçonneuse et douteuse comme toujours, attendit le lendemain que tout le monde soit parti et demanda à sa fille bien-aimée si ce qu’elle prétendait était vrai et qu’elle était vraiment heureuse avec cet animal. Djebra ne voulant rien cacher à sa mère, lui répondit qu’elle était vraiment heureuse et qu’il la traitait bien, mais que son seul souci était qu’elle ne pouvait plus supporter la mauvaise haleine de la bête. Mais la jeune femme insouciante ignorait que le lion, ne pouvant plus attendre sa bien-aimée, avait décidé de venir la chercher plus tôt que prévu et qu’il était devant la porte à tout entendre.
Le fauve ainsi abattu et triste rentra dans sa forêt.
Le lendemain comme prévu, le lion vint chercher Djebra. Elle était si contente de le voir venir vers elle sous les yeux ébahis de tout le monde. Mais son air cette fois était différent, il ne paraissait pas content de la voir. Elle l’accompagna sans dire un mot et une fois arrivé à la tanière, le lion se tourna vers Djebra, lui indiqua une hache tombée par terre et lui ordonna de le frapper sur la tête avec toute sa force. Djebra était étonnée de la demande soudaine du lion et refusa. Mais le lion insista en rugissant et se dirigea vers elle d’un air menaçant. La jeune fille n’eut d’autre choix que de le frapper pour qu’il s’éloigne d’elle. Mais le coup était violant, et le sang coula de la tête du lion. Alors, se ravisant, elle se mit à prendre soin de lui, à le nourrir et à le soigner jusqu’à ce que la plaie ne se guérisse. Quelle était sa joie de voir le fauve rétabli.
Mais le lion se tourna vers elle et lui demanda de ne pas trop se réjouir de la guérison d’une bête à la gueule si puante. Djebra comprit alors qu’il avait entendu sa conversation avec sa mère. Elle commença alors à s’excuser et lui supplia de lui pardonner. Mais le lion lui coupa la parole en disant : « Djebra, les blessures finissent tôt ou tard par guérir, mais les paroles ne peuvent jamais être oubliées. »
Puis il se jeta vers elle et la dévora.