ll y avait une fois un sultan, qui était religieux et qui avait toujours apprécié et respecté les érudits ainsi que les anoblis religieux. Il avait l’habitude de prier beaucoup et d’apprendre par cœur la parole de Dieu, mais avait remarqué que son peuple ne s’engageait pas dans ses devoirs religieux et que les mosquées étaient donc abandonnées. Alors, il réfléchissait au moyen de les ramener sur le bon chemin où ils prieraient et accompliraient leurs devoirs religieux.
« Les piliers de la religion sont l’hygiène et la propreté », déclara-t-il. « Ces gens ne savent même pas comment se laver ni nettoyer leur corps. Je parie qu’ils sont tous puants comme des mouffettes ! Tout d’abord, il faudrait leur apprendre l’hygiène. L’hygiène naît de la foi. L’hygiène mène à l’ablution traditionnelle et l’ablution traditionnelle mène à la prière. »
« Et si nous faisions un hammam, – pensa-t-il. – Et que nous le faisions gratuitement. Comme un linceul est gratuit. ‘Toute âme doit goûter à la mort’ [le Coran : 3vs185]. Un sultan sage, pour persuader les gens à vouloir agir, il le fera gratuitement au début. »
Alors, il amena un maçon qui construisit un hammam incroyablement vaste et gigantesque. Dès qu’il eut terminé, on installa des portes et des fenêtres, puis on amena le peintre qui le termina un mois plus tard.
On ajouta des fleurs, ainsi que des cadres et des pots de plantes; un lion attaché à un palmier un peu décoré avec une Khamsa , emblème de la main sacrée , placée entre deux pigeons au sommet d’un pot de fleurs. Ensuite, on prépara des ornements qui furent choisies de toutes les couleurs, jusqu’à ce que cela devienne enfin un hammam absolument exquis.
Le crieur public sortit en ville en proclamant : « L’hygiène naît de la foi, et le lavage est gratuit dans le hammam du sultan ! » Ensuite, on amena le maçon et on lui offrit un salaire pour gérer l’endroit, ainsi que des serviettes, des savons, des éponges et tout ce qui était nécessaire, même les masseurs. Le hamman se remplit jusqu’à rassembler à une boîte de sardines. On avait de la chance rien que pour atteindre la porte, sans même penser à obtenir un masseur. Il y avait aussi un cheikh dans le hammam, qui apprenait aux gens les ablutions et la prière traditionnelles.
Sans parler de ce maçon qui faisait preuve de tact, qui honorait tout le monde et servait aux gens ; qui donnait des serviettes à celui-ci, qui apportait des chaussures à celui-là, qui offrait de l’eau et du café aux autres. Il continua ainsi jusqu’au point où les gens l’aimaient et étaient gentils envers lui, si gentils qu’il commença à gagner beaucoup d’argent. Ceci continuait tous les jours, jusqu’à ce qu’il n’ait plus besoin de dépenser le salaire du sultan.
Alors ce peintre commença à être jaloux de lui.
« C’est donc lui qui l’a construit et moi, je l’ai peint », se dit-il. « Pourquoi l’aurait-t-il engagé dans le hammam, lui, et pas moi ? Pourquoi, lui, gagnerait-il des centaines, voire des milliers, pourquoi pas moi ? Mais je ne le laisserai pas tranquille. »
Ensuite, il se rendit chez le sultan.
« Seigneur, – dit-il. – Vous avez aimablement honoré le peuple et, à bras ouverts, vous leur avez fait un hammam où le lavage est gratuit. Mais l’homme que vous avez engagé demande aux gens de payer. Il n’arrête pas de leur dire que le masseur leur coûterait tel montant, que la baignade leur en coûterait tel montant et qu’on ne leur donnerait jamais d’éponge ni de savon, à moins qu’ils ne paient. Seigneur, les gens en ont assez et, sans parler de certains de ces ennemis désordonnés du trône qui racontent du maçon que ce n’est pas sa propre idée. Tout l’argent doit être acheminé au sultan, ont-ils dit. Et le sultan devient un serviteur de hammam. »*
« Quoi ? Ces fils de chèvre orpheline ! Je serais un serviteur de hammam ? Courtisan ! Amenez le maçon, enfoncez-le dans un sac et jetez cet imbécile au fond de la mer. Et toi, peintre, tu vas prendre sa place dans le hammam. »
Le courtisan alors voulait lui objecter : « Mais, Seigneur ! Appelez le maçon pour savoir ce qui se passe, enquêtez au moins! » mais il avait peur. Il allait dire : « Mais, Seigneur ! Cet homme-ci pourrait mentir ou se venger. Inspecter ! Enquêter ! jusqu’à ce que vous trouviez des témoins. »
Cependant, comme il remarqua que le sultan réagit avec fureur comme un ours qui avait mal à la tête, y renonça. Vers une heure, le courtisan rentra chez lui et demanda à quelqu’un de lui amener le maçon.
« Mon fils », dit le courtisan. « Le sultan m’a ordonné de te jeter dans la mer. »
« Pourquoi, monsieur ? Qu’ai-je fait de mal ? »
« Je sais que tu es innocent et je suis prêt à ne pas obéir au sultan, mais à une condition. Je veux que tu restes à la maison avec nous, sans sortir ni regarder par la fenêtre, ni même t’approcher de la porte, jusqu’au dernier jour de ta vie. Donc, tu passeras le reste de ta vie ici parce que, si jamais quelqu’un te voit et le raconte au Sultan, nos deux têtes seront sacrifiées. Je t’ai rendu service, alors ne me fais pas de mal, surtout que je suis père de famille et que j’ai des enfants. »
« D’accord, monsieur. J’y suis prêt. »
Or, le courtisan avait une pièce inutilisée dans le jardin qui était protégé par un mur. Il y abrita le maçon et se dirigea vers le sultan. « Votre Altesse», dit-il. « J’ai fait ce que vous avez commandé. »
En attendant, le peintre était déjà engagé dans le hammam et y commença un véritable commerce. Alors qu’auparavant, environ seulement un quart des gens offraient volontairement des pourboires, le hammam , dès ce moment-là , cessa d’être gratuit et tout le monde était obligé de payer.
Au bout de quelque temps, un jour, le sultan, qui possédait un bateau, partit en croisière dans la mer. Comme il était assis sur le bord et que ses mains s’étendaient à la surface de l’eau, sa bague y glissa et coula. Qui se préoccuperait alors d’une bague qui avait plongé dans la mer ? Il le savait lui-même. Ses marins pêchaient entre-temps, remontant un gros filet de poissons. Puis, ils retournèrent au palais et y apportèrent tous les poissons.
« Envoyez-en à M…, aussi à M…, et à M… », ordonna le sultan.
Le courtisan fut inclus dans la générosité du Sultan. Il se trouvait à la maison quand on lui apporta tout un seau de poissons.
« C’est là un cadeau de la part de Son Altesse », déclara le livreur.
Alors, le courtisan appela la cuisinière.
« Prends ce poisson », lui dit-il. « Mais avant, choisis-en un bon, un loup de mer par exemple. Apporte-le à ce pauvre maçon, dis-lui d’en faire ce qu’il veut ; que ce soit pour le vendre, le griller ou le faire frire, quoi qu’il arrive, pour en profiter pleinement. »
La cuisinière apporta au maçon ce loup de mer. « C’est de la part de mon Seigneur , – dit-elle, – que Dieu le bénisse. » Ensuite, il le trempa et fut sur le point de le peler. Dès qu’il l’eut coupé en deux et nettoyé, il y trouva une bague. En la vérifiant, il se rendit compte qu’il s’agissait bien de la bague du sultan ; il ne se tromperait jamais sur la bague du sultan. Le sultan venait chaque semaine au hammam et, avant de commencer à se laver, il laissait avec le maçon son portefeuille, sa bague, son collier et sa montre. Il mit donc la bague dans sa poche et se dirigea vers le courtisan.
« Monsieur », dit-il.
« Oui ? »
« Je veux que vous m’ameniez voir le Sultan. »
« Quoi ? T’emmener au sultan ? Tu te moques de moi ? Eh, voilà ma récompense? Après lui avoir désobéi, te cacher et te sauver de la mort, tu veux qu’il me tue ? C’est ça ? Sauvez un voleur de la potence et il vous égorgera. »
« Mais, monsieur, – dit le maçon, – dites-lui que vous lui aviez obéi et que vous m’aviez déjà jeté au fond de la mer ! »
« Oh, et comment es-tu revenu ? »
«Racontez-lui simplement cela et laissez-moi m’en occuper. Dites-lui que vous m’avez jeté et que je suis revenu maintenant vous voir. »
Finalement, le courtisan accepta.
Le lendemain, tôt le matin, le sultan se dirigea vers la cour avec l’assemblée et les assistants, y compris le courtisan, qui étaient alignés des deux côtés. Le portier entra, ouvrit grand la porte et annonça:
« Son Altesse est ici pour recevoir tous les plaignants. » Le maçon s’avança, entra et salua le sultan.
« Quoi !» dit le sultan dès qu’il le vit. « N’est-ce pas là le maçon ?»
« Oui, Seigneur », dit le courtisan.
« Ne vous ai-je pas demandé de noyer celui-ci dans la mer? »
« Oui, Seigneur. J’ai fait ce que vous aviez demandé et je ne vous désobéirais jamais. Je l’ai mis dans un sac, j’y ai ajouté quelques grosses pierres, puis je l’ai recousu et puis je l’ai jeté au fond de la mer. Je ne sais même pas comment il en est sorti aujourd’hui, je ne comprends pas, Seigneur, je n’y comprends rien. C’est impossible ! »
« Il n’y a rien d’impossible avec Dieu, ‘Lui qui ressuscitera ces os lorsqu’ils auront péri’ (le Coran : vs 36, 78)
« Alors, c’est quoi cette histoire? Où étiez-vous ? »
« Seigneur », dit le maçon, « je vous apporte les salutations du Sultan de la Mer. »
« Quoi ? Cela existe-t-il même, un Sultan de la Mer ? »
« Oui, Seigneur. Monsieur le courtisan – que Dieu le bénisse – m’a mis dans le sac qu’il a ensuite attaché et l’a rendu assez lourd – Dieu le loue – et m’a jeté dans la mer où j’ai coulé. Comme par hasard, j’ai atterri devant le palais du Sultan de la Mer, où les gardes m’ont attrapé. Ils se demandaient tous d’où je venais et qui j’étais, alors ils m’ont amené directement au sultan. »
« Qui es-tu ? Que fais-tu dans mon royaume ? », demanda-t-il. Puis, je lui ai tout raconté, que je travaillais comme maçon et je lui ai parlé du hammam que je t’ai construit, alors qu’il ne se lassait pas de moi. « Je veux que vous me construisiez un hammam en tant que tel, celui que vous avez construit pour mon frère, le Sultan de la Terre, » insista-t-il. Donc, j’ai construit pendant tout ce temps, jusqu’à hier quand j’ai terminé. « Maintenant, je te laisse retourner à la Terre, mais, salue bien mon frère le Sultan et, demande-lui de me rendre service et de me ramener ce peintre qui lui a peint son hammam ; voici le signe », m’a-t-il dit en me confiant cette bague et en me demandant de vous la remettre.
Ensuite, il lui offrit la bague, que le sultan vérifia et découvrit que c’était en effet sa propre bague. Il ne douta pas de l’histoire.
«Ecoutez, tous! », dit le sultan. «Qu’on m’amène le peintre. Monsieur le portier, va dire au capitaine de préparer le navire et de m’attendre . Et qu’on m’amène le peintre et descendons au port ensemble. Dépêchons-nous pour ne pas faire attendre mon frère le Sultan. »
La carrosse arriva et ils prirent la direction du port, puis embarquèrent.
Pendant ce temps, le peintre fut conduit au port par le portier, il y embarqua également. Là il trouva le sultan et le maçon qui s’y trouvaient.
« Mon fils, dit le sultan. Mon frère, le Sultan de la Mer t’a appelé. Le maçon lui a construit un hammam et maintenant il me réclame aussi le peintre. Alors, salue-le bien de ma part, mon fils, et je veux que tu me rendes fier et que tu le tiennes bien. Ne fais rien de mal ! »
Le peintre savait ce qui se passait ; il savait que le maçon avait tout arrangé, mais, que pouvait-il dire? Il cherchait le moyen de se tirer d’affaire.
« Bonne idée, Seigneur », déclara le peintre. « On doit toujours respecter les commandes des sultans ; ne vous inquiétez pas, mais permettez-moi simplement d’aller chercher mes outils. »
« Non ! Oh que non, non », déclara le maçon. « Outils? Tels que… ? Voyons, il n’aura pas besoin d’outils. Le Sultan de la Mer a de la peinture de toutes les couleurs et des pinceaux de toutes sortes, que ce soit les grands utilisés pour la peinture, ou même les plus petits, ou ceux utilisés pour les ornements, ou pour les filtres. Il dispose de tout ce dont on a besoin. J’ai tout découvert moi-même quand j’ai commencé à construire. »
« Très bien, pas besoin, – dit le sultan. – Puisque le maçon te dit qu’il a déjà tout. Alors, allons-nous apporter le sac ?» Puis, on apporta le sac.
« Permettez-moi de l’y mettre et de l’attacher, – dit le maçon. – Je sais exactement comment le faire. »
Il le mit dans le sac, l’attacha et y ajouta deux pierres.
«Ce n’est toujours pas suffisant, – dit-il. – Y a-t-il une autre pierre ? »
Puis il y ajouta deux autres pierres, l’apporta lui-même au bord et le jeta dans la mer. Il dit : « Va en paix et salue bien le Sultan de ma part. Oh et, mon vieux, rends-moi fier et ne fais rien de mal! »
La morale de l’histore : Celui qui creuse une fosse y tombera.