Il était une fois une vieille dame. Un jour quand elle marchait dans la rue, tout d’un coup, quelqu’un dans la foule lui déchira son sabot en lui piétinant dessus. Elle commença à boiter et à chercher un cordonnier qui puisse réparer le sabot ou juste coudre un motif de fleur dessus. Enfin, elle en trouva un.
« Bonjour », dit la femme.
« Bonjour », répondit-il.
« Pourriez-vous me réparer ce sabot? », demanda-t-elle.
« Oui bien sûr », répondit l’homme.
L’homme prit le sabot, la femme s’assit sur le seuil de la porte en le regardant coudre la déchirure. « Ça fait combien ? », demanda la femme.
« Non ça va », répliqua le cordonnier.
« Je dois vous payer », dit la vieille.
« Non ce n’est pas la peine. Mais puis-je vous demander un service ? », demanda-t-il.
« Oui bien sûr », dit-elle.
« Je suis étranger ici et célibataire et je cherche une femme pour me marier. Est-ce que vous pouvez m’aider ? », demanda-t-il.
« D’accord, je vais faire de mon mieux », dit-elle.
« Mais une seule condition. Je payerai cinquante mille dinars comme dot et elle n’aura pas besoin de faire des préparatifs pour le mariage ni d’apporter des meubles. Je veux la fille juste comme elle est, nous n’aurons pas de cérémonie ni d’invités. Elle doit également venir dans une calèche que je vous enverrai », dit-il.
« Je m’en occupe. On verra bien», dit la vieille dame.
La vieille dame s’en alla en se demandant quelle fille elle devait choisir et qui devait bénéficier de cet argent – après tout, cinquante mille dinars était une bonne somme d’argent. Elle se souvenait d’une pauvre veuve qui habitait aux alentours avec ses filles dont le seul moyen de vivre était le travail de la laine. Elle alla la voir et lui demanda : « Si jamais quelqu’un vous demandait la main de l’une de vos filles qu’est-ce que vous en diriez ? »
« S’il est quelqu’un de bien, je ne dirais pas non, mais vous êtes au courant de ma situation; je n’ai pas les moyens de préparer la dot ni de financer une cérémonie de mariage. Ma fille n’a que sa valise de vêtements à apporter», répondit la femme.
« Ne vous inquiétez pas, elle n’a qu’à apporter ses vêtements et il payera une dot de cinquante mille dinars. »
C’était une énorme somme d’argent dont elle rêvait d’acquérir, donc la femme finit par consentir.
La vieille dame retourna voir l’homme pour le mettre au courant. Le contrat de mariage fut signé par un huissier notaire et la mariée reçut sa dot. Le cordonnier choisit jeudi comme date de mariage, et stipula que la mariée et la vieille dame devaient être prêtes l’après-midi juste après la prière pour se déplacer en calèche. La veuve acheta de la viande et quelques kilos de pâté pour préparer un festin, elle cousit également quelques vêtements pour sa fille.
Le jour J arriva, la vieille dame attendait chez la veuve depuis un bon moment. Après la prière d’El Maghreb, la calèche s’arrêta devant la maison. Après avoir pris congé de sa famille, la jeune mariée et la vieille dame s’en allèrent en calèche et ils arrivèrent finalement chez le cordonnier.
« Je vous souhaite une vie pleine de joie », dit la vieille dame.
« Venez nous voir demain matin », répliqua l’homme.
La vieille dame s’en alla et la porte fut fermée.
« Bonjour madame, soyez la bienvenue », dit le cordonnier.
La jeune mariée examina avec étonnement l’endroit en se demandant où elle pouvait s’installer. L’atelier était très étroit, il y avait de petites tables cassées. Une des tables contenait des clous, d’autres contenaient de la cire jaune et des aiguilles. Le cordonnier lui passa une chaise rouillée et lui demanda de s’y asseoir. Surprise, elle s’assit au bout de la chaise. Il lui donna de l’huile d’olive, quelques olives, un poivron, un demi-citron et du pain pour dîner.
« Je n’ai pas faim », répondit-elle, mécontente.
Le cordonnier s’occupa alors de réparer quelques babouches. Au milieu de la nuit, il lui demanda si elle lui promettait de passer la vie ensemble et de le soutenir.
« Je ne sais pas », répondit-elle. Déçu, le cordonnier se tut.
Il passa la nuit à coudre et à frapper au marteau. Quant à sa femme, elle restait figée sur la chaise, ne faisant rien, bâillant de temps à autre.
Le lendemain matin, la vieille dame frappa à la porte : « Bonjour », dit-elle.
« Je vais demander un autre service s’il vous plaît », demanda le cordonnier.
« Qu’est-ce qu’il y a ? », demanda-t-elle.
« Pourriez-vous aller me chercher une calèche ?», demanda-t-il.
Après avoir accompli ce qu’il demanda et la calèche venue, il demanda de nouveau : « Je veux que vous rameniez la fille chez elle, elle est divorcée. »
Elles se dirigèrent chez elle. Dès qu’elle l’aperçut, sa maman s’exclama en criant : « qu’est-ce qui s’est passé ? »
« Je n’ai aucune idée », répondit la vieille dame et elle s’en alla.
Après environ deux semaines, la vieille dame passa de nouveau devant l’atelier. En l’apercevant, le cordonnier lui dit : « Bonjour, madame, est-ce que vous pouviez me proposer une autre fille pour me marier ?»
« Mais vous venez de divorcer », répondit-elle, étonnée.
« Je le sais mais n’oubliez pas que le mariage c’est prédestiné », dit-il.
Il insista jusqu’à ce qu’elle consentît finalement à l’aider. Il lui assura alors qu’il gardait la même condition et la même valeur de dot.
« Où puis-je trouver une autre fille ? », songea la vieille dame.
Elle hésita si elle devait penser à la sœur de la fille qui venait d’être divorcée et décida de tenter sa chance. La fille consentit et les deux se marièrent. Malheureusement, le même scénario se répéta et la deuxième fille fut divorcée le lendemain.
Après environ une quinzaine de jours, le cordonnier demanda le même service de la vieille dame. Elle refusa au début mais quand il avait insisté, elle accepta et demanda la main de la troisième fille.
« Non, je ne suis pas d’accord », s’exclama sa maman.
« Pourquoi tu refuses maman, tu veux que je devienne une vieille fille ? », dit sa fille.
« Tu n’as pas vu ce qui est arrivé à tes sœurs ? », demanda sa maman.
« Oui je vois mais à chacun son propre destin. » La maman fut enfin convaincue.
Le jour du mariage, la vieille dame et la fille se dirigèrent en calèche vers l’atelier. Le cordonnier salua sa femme et lui passa une chaise sur laquelle elle s’assit.
« Bonsoir », dit-il,
« Bonsoir monsieur », répondit-elle.
« Soyez la bienvenue », dit-il.
« Merci beaucoup », répondit-elle.
Ensuite, il lui donna à manger ; elle tint une tranche de pain, un poivron, trancha un citron en deux et se régala à manger.
« Pourquoi tu ne manges pas ? », demanda-t-elle.
Il commença à manger et après avoir fini, il lui demanda : « Est ce que tu me promets de passer la vie ensemble et me soutenir dans le bonheur et à travers les épreuves ? »
« Bien sûr que oui, tu es mon époux et tu comptes sur moi. L’argent, ça va et ça vient, et si jamais un jour tu n’as plus de travail, je suis là pour t’aider avec mon travail de la laine, et dans tous les cas, personne ne sera au courant de ce qui se passe chez nous », répondit-elle.
« Tu dois savoir que je ne possède qu’un seul atelier et comme tu vois, il est très étroit, on peut à peine s’y déplacer », répliqua-t-il.
« Ne t’inquiète pas, on peut vivre aisément dans cet atelier, nous pouvons nous débrouiller avec très peu », répondit-elle.
Le cordonnier se mit debout et ouvrit une porte qui était cachée derrière une tapisserie et demanda à sa femme d’y entrer. Elle entra par la porte et une maison magnifique apparut, avec une fontaine au milieu. C’était un endroit paradisiaque ; on y trouvait des lustres qui brillaient, des tapis, des meubles gigantesques et une grande table.
Tout d’un coup, la mariée fut entourée par des servantes qui l’aidèrent à changer de vêtements et à porter des bijoux en or et perles. Par la suite, le cordonnier apparut vêtu d’un merveilleux costume et dit à sa femme : « j’espère que Dieu nous unit pour la vie ; tu es la seule à mériter de posséder de telles richesses. Une femme doit toujours soutenir son homme dans le bonheur ou à travers les épreuves. »