Dimanche dernier, notre histoire était sur la peur et la potence. L’histoire d’aujourd’hui porte sur le même sujet. Toutefois, à cette époque dont nous avons parlé dimanche dernier, on a dit qu’on emmenait l’homme pendu l’après-midi au moulin de Bab Souika et qu’on l’enterrait le lendemain matin. Pourtant, à cette époque dont on va parler aujourd’hui, le pendu passait toute la journée et toute la nuit dans la potence.
À cette époque, il y avait une rue appelée « El Kaadine »ou « El kaadin alley » entre « Bab Souika » et « Sidi Jebali ». C’était un quartier connu pour organiser des fêtes et jouer de la musique. Les chanteurs organisaient des fêtes et des rassemblements chez eux. Il y avait une femme qui s’appelait « Chema tbursquia » qui était célèbre à cette époque- là. Un soir, elle accueillait ses amis chez elle. Après avoir chanté, dansé et fait la fête, ils s’assirent pour parler. L’un d’eux parla d’une personne qui était décédée, entourée de sa famille. Brusquement, le décédé se leva et s’assit à côté d’eux. Ils s’enfuirent, croyant qu’il était possédé par le diable.
« J’ai peur des morts » dit l’un d’eux, « Je ne peux m’en approcher même si c’était mon père. »
« Il n’y a rien à craindre de quelqu’un qui est déjà mort ! » dit la fameuse chanteuse, « Que ce soit l’un de ses vêtements, une table, un canapé ou un lit, il n’y a rien à craindre. Personnellement, je n’ai pas peur des morts ! »
Quelques-uns doutèrent ceci, d’autres non. « Faisons un pari et vous verrez » leur dit-elle.
Mais comment allaient-ils la défier ?
« Aujourd’hui, quelqu’un a été pendu à Bab Souika et il passe la nuit sur la potence » dit l’un d’eux. Peux-tu y aller et lui couper la corde ? » l’un d’eux suggéra. « Je suis partante » dit-elle, « Tu es sûre ? » lui demanda-t-on, « Oui » répondit-elle.
Ils se mirent d’accord que si elle leur apportait une partie de la corde, chacun d’eux contribuerait aux dépenses de la soirée. Mais si elle n’y arrivait pas, elle paierait toute la nourriture et les boissons qu’ils avaient consommées cette nuit-là et la troupe musicale également.
Avant de partir, la femme prit un couteau et une chaise pour atteindre la potence qui était un peu haute. Heureusement, il n’y avait pas de gardien. Elle marcha dans l’obscurité et lorsqu’elle atteignit la potence, elle se tint sur la chaise pour atteindre l’homme et lui coupa la corde jusqu’à ce qu’il tomba par terre. Elle lui détacha le nœud de son cou et courut terrifiée (comme l’aurait fait n’importe quelle autre femme) ; après tout, ce n’était qu’une femme prise de panique. Elle s’enfuit, laissant le couteau et la chaise derrière. En retrouvant ses amis qui l’attendaient, elle leur jeta le bout de corde et s’évanouit.
Quant à l’homme pendu, on raconte qu’il était pendu depuis le coucher du soleil. L’homme qui exécuta la pendaison dénommé Hassine, était fatigué et voulait rentrer chez lui. Au lieu d’attacher le nœud coulant sur le cou, il le fixa sur son menton, laissant l’homme suspendu et simplement évanoui.
Lorsque la femme lui coupa la corde et détacha le nœud, il tomba par terre, la froide brise de la nuit lui soufflait sur la peau. En ouvrant les yeux, il se rendit compte qu’il était allongé sur le sol et se souvenait qu’il était censé être pendu.
Que faire ?
Il décida de s’enfuir, mais où? Les portes de la ville étaient fermées et on ne les ouvrait que le matin. « De toute façon, je vais me débrouiller » songea-t-il. Il se leva, prit le couteau inconsciemment et le cacha dans le « Tarkhana ». Quand la porte « Alouj » fut ouverte à l’aube il porta son « kachabia », un vêtement, sur sa tête comme il le faisait habituellement et s’en alla.
S’éloignant de la porte, il courut comme un lapin. Craignant que les gens qui l’ont pendu le retrouvent, il décida d’arrêter de courir et de se cacher.
A la tombée de la nuit, il repartit, le même scénario se répéta le lendemain. Tantôt, il se reposait quelque part, tantôt on lui offrait un morceau de pain ou on le chassait.
Au troisième ou quatrième jour, il s’évada et était à deux pas du Kairouan ; en traversant « Djriaa Tmar »il apercevait le minaret de la grande mosquée de loin et se rendit compte qu’il ne pouvait y arriver avant la tombée de la nuit et la fermeture de la porte.
Il atteignit « Jneh akther » un cimetière où il ne pouvait ni dormir ni se reposer, il n’y avait que des tombes, il s’assit devant une tombe. Lorsqu’il posa sa main dessus, le sol était mouillé. La tombe était fraîchement creusée. (En Tunisie, on attend deux à trois jours après la mort avant de creuser une tombe. Dans le monde entier, le tombeau est construit immédiatement. Ce n’est qu’une petite remarque concernant les fossoyeurs en Tunisie).
Ayant marché de longues distances, l’homme était épuisé et mit sa tête sur la tombe pour dormir. À peine eut-il dormi, il entendit un bruit souterrain, ressemblant à une voix humaine qui gémissait. Au début, il n’y croyait pas. Ensuite il fut certain que le bruit venait de cette tombe. » C’est la voix d’un être humain ! Ça doit être la personne enterrée dans cette tombe ! » se dit-il.
Du coup, il prit son couteau et commença à creuser le sol. Alors qu’il creusait et enlevait les pierres et la terre, la voix devenait plus puissante. Il continua à creuser jusqu’à ce qu’il atteigne le cercueil. Les cris s’intensifièrent. Il ouvrit le cercueil et y trouva une fille, qui s’évanouit.
Il la fit sortir du cercueil, l’allongea sur le sol et lui gifla le visage pour la réveiller. Une fois réveillée, elle dit :
– « Que Dieu bénisse ceux qui m’ont redonné la vie et détruise ceux qui m’ont tuée ! »
– « Qu’est-ce qui t’est arrivé ? » lui demanda l’homme.
– « Je ne sais pas. Qu’est-ce que je fais ici ? Je me souviens d’avoir été malade à la maison. » J’étais chez moi, je suis malade. »
– « Que fais-tu dans une tombe ? »
– « Peut- être, je me suis évanouie et ma famille a pensé que j’étais morte » dit-elle. « Que dois-je faire maintenant ? » cria la fille. Il faisait nuit, les portes de la ville étaient fermées et il faisait froid.
Il enleva son « Kachabia » et couvrit la fille qui s’endormit.
Le matin, les portes furent ouvertes.
– « Je te ramène à la maison » dit l’homme, « Où habites-tu ? »
– « A Houmet jemaa » répondit-elle.
– « Où se trouve ce quartier ? ».
– « Je ne sais pas » répondit la fille.
À l’époque, les femmes ne sortaient pas beaucoup, même si une fille sortait, elle ne savait pas comment retourner. L’homme se mit à chercher le quartier en demandant aux gens qu’en est-il de Houmet jemaa et la jeune fille le suivit portant la « kachabia » cachant son visage avec la capuche. Ils atteignirent l’endroit. Lorsque l’homme se renseigna au sujet de la maison, ils leur montrèrent une maison avec ses portes grande ouvertes avec des gens qui portaient des chaises de la cérémonie funèbre du soir précédent.
« Voici ta maison. » dit l’homme à la fille.
Dès qu’elle entra dans la maison, tout devint un chaos complet. Les femmes se mirent à courir en se bousculant car elles pensaient qu’un démon qui l’avait possédée avait ouvert la tombe pour s’en échapper. Dès qu’ils eurent repris leurs esprits et l’eurent reconnue, ils se mirent à hululer, à embrasser la fille et la serrer dans leurs bras. Du coup, le deuil se transforma en une célébration. Et les gens venaient les féliciter.
Enfin, le père de la fille décida de marier l’homme à sa fille et ainsi notre histoire se termine.